soif de Parole
curatorial essay to accompany an exhibition at GSN

 

commissaire : amanda dawn Christie
artistes : jessica Arseneau, geneviève Sivret, alisa Arseneault, rémi Belliveau

 

soif de Parole

 

Rock and Roll. Hard Rock. Soft Rock. Punk Rock. Acadie Rock! « soif de Parole » est la dernière ligne du poème « Acadie Rock » de Guy Arseneault. Il termine le poème en écrivant : « J’ai faim de l’Acadie, et j’ai soif de Parole. »  Mais, qu’est-ce que c’est cette Acadie dont Guy a faim? Son poème parle principalement du paysage, de la géographie, et du chez-soi. Mais est-ce qu’on peut définir l’Acadie par la géographie? La généalogie? La langue? La culture? Notre parentage? Notre quartier? Du bon bois d’érable brûlé? D’un poêle à l’huile? Pendant que la plupart du monde serait d’accord que l’Acadie est une combinaison de toutes ces choses, souvent nous devenons perdus dans les politiques de langue, tellement perdus, que nous perdons de vue le langage et la parole même.

 

Étant une Anglophone qui est aussi un membre de la communauté acadienne, je suis très sensibilisée à la question de la langue et aux enjeux des politiques de la langue. Moi-même, j’ai eu mes propres enjeux d’identité dans le contexte acadien. Après avoir quitté Amsterdam pour retourner au Canada en 2010 – retourner au Nouveau-Brunswick – retourner en Acadie – retourner à mon ché-moi – j’ai réévalué mon identité, et j’ai fait un film qui s’appelait « point A à point B » dans lequel j’ai dit : «  “Je viens d’Acadie, mais je ne suis peut-être même pas acadienne. Je ne sais pas. Qu’est-ce que c’est d’être acadienne?  La langue?  La géographie?  La généalogie?”  Même si ceci est mon ché-moi, je n’ose pas avoir la réponse à ces questions. Je suis certaine qu’il y a plusieurs opinions très variées sur la question de qu’est-ce que cela veut dire, d’être acadienne. Quelles que soit les réponses de qu’est-ce que c’est une acadienne vs. une non-acadienne, nous sommes confrontés avec l’enjeu d’inclusion vs exclusion.

 

Dans un sens, nous sommes tous exclus de certains groupes, alors que nous sommes inclus dans d’autres. Le philosophe italien Giorgio Agamben, écrit à propos de l’inclusion exclusive, et de l’exclusion inclusive. C’est-à-dire que le seul fait d’être inclus dans un groupe, par définition, exclut d’autres individus de ce groupe, cependant que le fait d’être exclu d’un groupe majoritaire crée une inclusion dans un groupe minoritaire. Veut veut pas, ceci est un thème majeur en Acadie : nous sommes tous simultanément inclus et exclus de plusieurs groupes. Il est même possible d’être inclus et exclus du même groupe en même temps.

 

Dans cette exposition, je veux explorer l’idée de l’inclusion exclusive dans le contexte de langages, langue, et parole.  Nous sommes très chanceux.se.s, que dans les années soixante, il y avait une génération d’artistes et d’activistes, qui se sont battus longtemps, et fort pour les droits linguistiques afin d’être capable de vivre, d’étudier, et de travailler en français.  Ils ont affronté des défis inimaginables, et ils ont eu des très grandes victoires. Nous sommes chanceux.se.s maintenant de vivre dans une région avec la diversité linguistique et la tolérance.  Non, nous ne vivons pas en harmonie parfaite entre les deux groupes linguistiques majeurs (et je dis majeurs, car il ne faut pas oublier les autochtones, le coréen, et les autres communautés qui partagent notre culture à s’teure).  Non, nous n’avons pas l’harmonie parfaite; car la perfection existe seulement dans des rêves et des idéologies de philosophes.  Ce que nous avons ici est probablement une des communautés bilingues les plus harmonieuses dans tout le pays.  Et ça, c’est quelque chose dont nous devrions être fier/fière.s!

 

En face de cette liberté linguistique, il y a plusieurs jeunes individus et artistes, d’origine francophone acadienne, qui continuent à parler et de créer des oeuvres en anglais, ou des oeuvres qui contiennent des éléments en anglais. Mais pourquoi? Est-ce que c’est une question d’assimilation? Ou est-ce que c’est une question de rébellion contre la génération qui s’est battu tellement fort pour l’inclusion de la langue française? Ou peut-être, est-ce plutôt une question d’appropriation et de réinvention? Peut-être que c’est leur capacité de reconnaître la réalité bilingue dans laquelle ils se trouvent, entourée par le français, l’anglais, et le chiac parmi d’autres langues et combinaison de langues?  Peut-être que c’est la reconnaissance du langage, ce que Ferdinand de Saussure a décrit comme la capacité de formulé des systèmes de communications, telles que des langues. Ou même, plus précisément, comme Herménégilde Chiasson a écrit dans l’introduction d’Acadie Rock :

 

« Chaque époque, chaque enfant réinvente le langage et c’est ce qui donne envie de vivre, de continuer. »

 

Qu’est ce que cela veut dire de réinventer le langage? La relation entre le langage et des langues elles-mêmes?  Quand est-ce que l’assimilation devient l’appropriation et quand est-ce que l’appropriation devient une réinvention? Est-ce que c’est un problème si les jeunes artistes veulent réclamer leurs moments, leur actualité dans le présent, dans toute sa totalité? La fierté du sens d’appartenance à la communauté francophone acadienne, n’est pas diminuée par l’incorporation de la langue anglaise, mais plutôt, c’est renforcie par la confiance et la force d’une nouvelle génération qui se sent confiante, fière, et sécure dans son identité à l’intérieur d’une communauté bilingue et diverse.

 

Comme Gérald Leblanc écrivait dans son Éloge du chiac : «j’imagine dans ma langue / beaucoup de langues» 

 

Cette appartenance de beaucoup de langues ne demande pas pardon pour utiliser ni le français, ni l’anglais, ni le chiac – no apology necessary. Mais au lieu, ils se tiennent debout, forts et fiers de la totalité de l’Acadie actuelle dans toute sa pluralité. Et cela, est seulement grâce aux générations d’activistes qui se sont battus pour les droits linguistiques. Grâce à ces activistes, les jeunes ne sont pas obligés d’étudier ou de travailler en anglais, et ni ne sont-ils contraints par des stéréotypes historiques, des traditions folkloriques, ou des clichés d’une Acadie idéalisé ou imaginaire. En place de cela, avec confiance, ils réclament une image brute, honnête, et complète de leur réalité sociale qui comprend plusieurs langues, cultures, et groupes diverses. Plusieurs inclusions et exclusions simultanées. Leur confort qu’ils sentent en travaillant entre plusieurs réalités linguistiques est un triomphe. Français, anglais, chiac, hard rock, soft rock, punk rock, Acadie Rock!

 

Mon but, dans la préparation de cette exposition était de trouver des artistes acadiens émergents, les prochains à s’exprimer : je cherchais des artistes qui avait soif de Parole et qui allait prendre la parole. Les artistes inclus dans l’exposition sont des diplômés récents de l’Université de Moncton et qui (je crois) vont très probablement devenir les artistes établis de demain; des artistes qui, à travers une combinaison de talent et de dévouement, seront probablement encore des artistes actifs dans 10, 20, ou 30 ans d’ici. Étant une artiste, ce n’est pas seulement le talent. Le talent ce n’est rien sans le dévouement, l’ambition, le travail assidu, et le sacrifice. Les quatre jeunes artistes dans cette exposition démontrent toutes et tous ces qualités en abondance.

 

Alisa Arsenault aborde la question de Parole dans son œuvre Comme si tout le monde se connaissait…, où elle a invité des membres de la communauté à s’asseoir pour des conversations les uns avec les autres. L’accent est mis sur le contenu de qu’est-ce que les individus ont dit (la parole). Elle a enregistré les conversations, et elle les a par après découpées pour faire un montage artificiel et hors contexte. Les voix des individus dans le vidéo sont rendues muettes. Les voix et les paroles sont trouvé hors contexte dans une petite boite dans le coin – séparé de leurs source, et attendant d’être découvert, comme une mystère magical.

 

En juxtaposition aux conversations externes dans l’œuvre d’Alisa, Jessica Arseneau nous présente une conversation interne dans son œuvre, Égarer des mots.  Un dialogue avec elle-même et ses pensées, dans lequel ses pensées se métamorphosent et flottent entre les langues.  Sa capacité de langage lui permet de formuler un nouveau système de communication interne comprenant plusieurs langues dans la formation des paroles intérieures.  Ici on voit l’évidence de l’interaction entre le langage, la langue et la parole pendant que Jessica formule ses pensées dans un système de français, anglais et chiac, avec une danse de paroles plurilinguistiques.

 

Rémi Belliveau, dans son œuvre, Écoutez tous, petits et grands: une étude multimedia en quatre parties portant sur un dialogue intergénérationel en évolution sur le plan traditionnel et technologique en Acadie, explore la même « parole » – c’est-à-dire, les mêmes phrases, dans la même chanson – en suivant une traduction de l’interprétation à l’intérieur de la même langue, mais à travers différentes générations. Quatre générations qui chantent la même chanson. Comment est-ce que l’interprétation et la traduction de la chanson changent et qu’est-ce que c’est l’impact de la chanson sur chaque génération dans leur propre contexte historique? How does the reading change?  Dans les quatre portraits, vous verrez son arrière-grand-mère, sa grand-mère, sa mère, et lui. Ils ont tous chacun appris la même chanson de la génération précédente.

 

En face des quatre portraits de famille de Rémi, vous trouverez quatre autoportraits de Geneviève Sivret , dans la série, Les marques de notre vie. Ces images prennent une approche plus métaphorique aux enjeux de la langue et l’identité.  Même si l’intention originale de l’artiste était une espèce d’exploration de l’estampe actuelle, en utilisant des bandes élastiques pour faire des impressions sur la peau et le visage, dans le contexte de cette exposition ici, j’aimerais proposer une autre interprétation liée à l’identité et la représentation du soi.  Les élastiques et leurs impressions peuvent être vus comme les contraintes et les traces qui sont imposées sur nous par les attentes de nos familles, de nos communautés, et de notre société.  Où est la place pour l’identité de l’individu quand nous sommes entourés par des attentes, des traditions, et des stéréotypes?  Même si on est capable de nous libérer de ces attentes de ces stéréotypes, ils laissent leurs traces sur nos corps, notre peau, et notre perception de nous-mêmes.

 

De plus, sur le mur extérieur de la GSN, vous allez trouver une autre série de Geneviève qui s’appelle Les masques que nous portons tous.  Cette série présente plusieurs autoportraits en plusieurs états de modification.  La présentation du soi et l’identité s’expriment à travers le maquillage, le costume, et la modification du corps (body modification).  La présentation du corps est autant un site pour discours, parole, et poésie que les mots qui sort de la bouche ou du stylo.

 

L’oeuvre de Geneviève nous rappelle que nous avons chacun plusieurs identités diverses, réelles, imaginées, fabriquées, potentielles, et actuelles.  Nous sommes chacun né avec plusieurs identités en conflit, pendant que nous créons en même temps des identités additionnelles de jour en jour dans nos vies quotidiennes : Acadienne, Anglophone, Autochtone, Coréenne, femme, homme, artiste, musicienne, patronne, jeune, vieille, riche, pauvre, contre-culture, underground, punk rock, business in the front, party in the back.  Nous avons tellement de différents masques et marqueurs sur notre peau, nos cheveux, nos costumes, et les langues que nous parlons.  Et enfin, où est-ce que nous formulons et développons la plupart de ces identités sinon ché-soi?  Et, où est-ce que c’est que ce chez-nous élusif?  Est-ce que c’est notre propre peau?  Sur le terrain? La géographie? Dans notre communauté? Dans une maison ou appartement? Hard-rock show au plan B?  Une house show à la gummy house ou à la patente Archibald?  Un souper de famille?  La senteur et la chaleur du bon bois d’érable brûlé? Ou d’un poêle à l’huile?  Où est-ce qu’on trouve ce chez-nous élusif?

 

Je vous laisse avec les mots de Guy Arsenault:

 

pi la senteur

pi la chaleur

du bon bois d’érable brûlé

cé pas pareil comme la senteur

pi la chaleur

d’un poêle à l’huile

 

Ta maison

Cé ton ché vous

 

Shédiac by the sea

Bouctouche sur mer

J’ai faim de l’Acadie

Et j’ai soif de Parole